Un carnaval de Pourim en Pologne au XIXe siècle

Joseph Budko (1888-1940) : Pourim, 1920. Joseph Budko (1888-1940) : Pourim, 1920. La gravure représente Mardochée, vêtu d’habits royaux et portant la couronne du roi, promené à travers la ville sur le cheval du roi mené par Haman sur l’ordre d’Assuérus (cf. Esther VI:7-11). Le texte dans le bandeau dit : « …Et il [Haman] lui [Mardochée] fit chevaucher les rues de la ville en proclamant… », la suite étant écrite au pourtour de l’illustration : « Qu’il soit fait ainsi à l’homme que le roi chérit ».

Le texte ci-dessous est extrait de « Esquisses polonaises du temps actuel. Les Juifs polonais », publié dans L’univers israélite de septembre 1863, lui-même extrait de la Gazette de Cologne et traduit de l’allemand par Pauline Bloch. Il comporte la mention suivante : « Le lecteur remarquera facilement que l’auteur de ce morceau n’est pas israélite et qu’il a envisagé inexactement bien des choses. »



Le juif est donc aussi le propagateur de la musique dans le peuple, et parfois même de l’art dramatique, car, pendant un ou deux jours de l’année, il est le sujet folâtre du prince Carnaval. Il a en Pologne son carnaval aussi bien que le citoyen de Cologne, de Venise ou de Rome, à la fête de Pourim, en février.

La veille du Pourim de cette année, je me trouvais dans une riche famille juive. Sur une table, couverte d’une nappe d’une blancheur extraordinaire, étaient étalés des gâteaux sucrés, la plupart préparés avec du miel ; de jolies petites assiettes de cristal, disposées tout autour, étaient remplies d’une sorte de massepains de toutes formes, et l’on y avait ajouté une délicieuse eau-de-vie de grains qui devait servir à produire bientôt un joyeux entrain.

Tout à coup on entendit du vestibule une éclatante fanfare ; la porte s’ouvrit à deux battants, et l’on vit entrer une noce habillée du costume antique judaïco-asiatique. Le père portait le costume du patriarche Jacob ; il avait une longue robe brune traînante et une barbe blanche comme la neige lui descendant jusqu’aux pieds ; il était aveugle et se tenait courbé appuyé sur un long bâton de berger ; il était conduit par sa femme, qui paraissait un peu plus jeune ; elle était vêtue d’une robe à grands ramages à l’ancienne mode, et portait une si prodigieuse crinoline que le vieux patriarche disparaissait presque près d’elle.

Ils étaient suivis de onze fils, dont un conduisait une fiancée. Ils avaient des costumes de fantaisie l’un était travesti en bossu, l’autre avait un gros ventre, le troisième était en géant avec un bonnet pointu sur lequel, comme chez les astrologues égyptiens, étaient représentés le soleil, la lune et les étoiles collés dessus avec du papier doré. Le fiancé représentait un heureux berger de l’ancien temps et était couvert d’une longue peau de mouton ayant le côté rude tourné en dehors, et la fiancée était en costume antique, fait de grosse toile de chanvre, sans crinoline.

Alors le vieux père devait donner la bénédiction, mais il voulait auparavant voir ou toucher tous ses fils ; cependant son préféré, son douzième fils, Joseph, manquait. Puis toute la représentation de la vente de Joseph en Égypte fut exécutée par l’aîné, Ruben, qui chanta les solos tandis que les autres répondaient par un formidable refrain en chœur, accompagné de tambours et de trompettes.

À la fin, toute la société mâle s’élança dans une danse sauvage et fit un si grand tapage qu’on aurait vraiment cru être à un carnaval de Cologne. Le bruit continua ainsi toute la nuit, dans la maison aussi bien que dans les rues.

Ce Pourim tombe le 5 mars ou le 21 février selon le calendrier russe- Ainsi il coïncide avec notre mardi gras. Ce qui était très-touchant, c’est que les maisons, même des plus riches juifs, restèrent ouvertes toute la nuit au public masqué, qui pouvait aller et venir, s’asseoir, boire, faire un bruit infernal et s’amuser en toute liberté.