L’histoire d’Esther racontée par une midinette à sa camarade

Une lecture de l’histoire d’Esther, publiée le 15 mars 1935 dans Le Journal Juif des Jeunes.



Ça se passait chez Assuérus, le Shah de Perse. Oh ! il y a de ça un bon bout de temps… Figure-toi que le Shah, il avait envie de s’amuser un peu ; alors il a fait venir tous ses ministres, ses préfets, ses conseillers municipaux, toute sa smalah, quoi ! — Et ils ont fait une bombe à tout casser. Tellement, que le Shah en a perdu la boule. Rond comme une quille, est-ce qu’il se met pas à faire des estravagances ? Et lesquelles, encore ! Ah ! ma chère, je te le donne en mille : Voilà qu’il demande à la reine, son épouse, de venir s’exhiber devant tout le monde ! Et tu sais, sans rien sur le dos. Mais là, comme à la revue Mayol ! Non mais, faut-il être saoûl pour en venir-là ! Tu penses bien qu’elle n’a pas marché, la reine. Ben quoi, on a son amour propre ! Et puis une reine, tu vois ça d’ici !.

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Mais tu sais quand un Shah se met une idée dans la tête, surtout quand il a bu ! Si au moins ses ministres avaient été raisonnables. Mais pas du tout : ils devaient être tous gris, eux aussi. Alors tu ne sais pas ce qu’ils font ? Ils conseillent au Shah d’envoyer la reine dans l’aut’monde. Et lui, il marche ! Quel numéro, hein ?… Ah ! non, c’est pas permis d’être parti comme ça.

Bref, quand son mal de cheveux a passé, le Shah s’est rendu compte. Alors, il s’est mis à chercher une nouvelle reine. On a fait un concours de beauté pour choisir Miss Perse. Et figure-toi que c’est Esther, une petite juive, qui a décroché la timbale. Elle a eu une de ces toilettes, et un de ces palaces, ma petite, je ne te dis que ça !… Sans parler du béguin que le Shah avait pour elle ; une vraie toquade, je te dis. Elle lui a tapé dans l’œil sérieusement. Et son mariage donc ! Comme la princesse Marina. Il y avait des drapeaux partout. On ne parlait que d’Esther. On montrait ses robes et ses chapeaux dans tous les cinémas de quartiers.

Tout marchait donc comme sur des roulettes. Mais voilà qu’arrive une sale histoire.

Le Shah avait un premier Ministre qui s’appelait Haman, une espèce de Hitler, tu sais, qui n’aimait pas les Yids. Il voulait que tout le monde lui tire des coups de chapeau, ou plutôt qu’on se mette à genoux devant lui. (Il fallait bien qu’il se singularise : puisque Hitler fait lever le bras, lui, Haman, faisait baisser le genou.) Alors, tu penses bien que ça ne plaisait pas à tout le monde. Y en avait un surtout qui ne pouvait pas le blairer, ce Haman avec sa folie des grandeurs ; c’était Mardochée, un Juif qui avait ses entrées à la cour et qui parlait au Shah comme je te parle. Un Monsieur- très bien, ma foi ! Tu comprends bien qu’il ne pouvait pas se fiche par terre tous les quarts d’heure pour faire plaisir à ce Haman de malheur !

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Ils se sont chamaillés, comme de juste, et Haman a décidé de se plaindre au patron. Le voilà donc qui cavale chez le Shah et qui lui raconte que les Yids, c’est une sale race et qu’il faut les esterminer. (Ce que c’est tout de même que la manie de généraliser !…) Et le Shah qui donnait toujours raison au dernier qu’a parlé, qu’est-ce qu’il fait ? Il dit : oui. Tu parles d’un grabuge. On avait déjà fixé le jour du massacre. Et tous les yids, ils pleuraient, ils pleuraient. Y avait de quoi, hein ?

Ah ! mais Mardochée ne se laisse pas faire comme ça. Vite il envoie un S.O.S. à la reine Esther. Parce que j’ai oublié de te dire qu’Esther était comme qui dirait sa nièce. Seulement, tu comprends, hein, quand on est reine et qu’on vit dans le lusc, on ne pense pas souvent qu’on est Yid. Forcément, quoi ! Mais à ce moment-là, ça devenait sérieux. Mardochée, lui dit : « Esther, ma petite, écoute bien ce que je vais te dire : si tu laisses faire cette dégoûtation, tu y écoperas comme nous. Qu’est-ce que t’auras de plus ? »

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Alors, tu comprends, ce n’était plus drôle pour cette pauv’Esther. La voilà donc qui se creuse la cervelle pour trouver une porte de sortie. Mais tu sais, une femme, ça a beau être reine, elle n’est jamais embarrassée. Elle commence par se mettre bien avec le Shah de Perse et avec son chameau de Haman. Et puis, elle les invite tous les deux chez elle pour un cocktail. Naturellement, ils rappliquent ; sans perdre une minute, elle s’arrange pour se faire faire la cour par Haman. Le Shah s’en aperçoit. Il devient furieux. Esther en profite pour lui dire que Haman est un satyre, que toutes les histoires qu’il a racontées au Shah sur les Yids, c’étaient des bobards, et qu’au lieu de faire tuer des tas de braves gens, il ferait mieux de s’occuper de sa femme plutôt que de chiper celle des autres…

Ah, mes amis ! Quelle rigolade ! Le Shah est hors de lui. Il nomme une commission d’enquête. Les experts lui apprennent que non seulement Mardochée est innocent, mais qu’il lui a encore sauvé la vie, une fois.

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Bref, il y a eu un procès monstre. Les journaux en étaient pleins. Aux audiences, on s’écrasait. Quelque temps après, Haman et toute sa marmaille ont été pendus. Ils y ont pas volé, hein ? Faut-il être dégoûtant pour chercher à tuer les Yids ! Mardochée est monté en grade, naturellement. Pour finir, Esther a fait une réception formidable. Elle a invité toutes les stars des musics-halls y compris Mistinguett qui fonctionnait déjà en ce temps là… On a sablé le champagne, et on s’est amusé comme des petites folles toute la journée. Même qu’à Suse, les Yids se sont payé un extra : Ils ont dansé sans arrêt pendant deux jours. Tu te rends compte !…

Mais le plus beau, c’était encore le Shah de Perse. Tu sais qu’il était content pour finir. Il a bien vu qu’on voulait lui faire faire une sale blague. Et dire qu’il a failli marcher. Quel ballot, tout de même !…

Pour copie conforme,
I. P.